Femmes, science et immigration

Cavarelli M
Aujourd’hui, 11 février, c’est la Journée internationale des femmes et des filles de science, proclamée pour la première fois cette année par l’Assemblée générale des Nations Unies. Pour fêter ça, j’ai demandé à 10 chercheuses italiennes (comme moi) résidant à Paris de répondre à quelques questions pour nous raconter leur métier… et nous expliquer ce qu’elles font en France.

Attention, interview longue mais passionnante !

1. Valentina Grampa, neurobiologiste, Institut Fer à Moulin (Université Pierre et Marie Curie)

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Mon projet de recherche a le but de mieux comprendre le développement du cortex cérébral pendant le développement embryonnaire. Plus précisément, j’étudie un type spécifique de neurones et une voie de communication cellule-cellule appelée Sonic Hedgehog. Dans mon travail quotidien, j’utilise plusieurs types cellulaires, je conduis des tests de biologie moléculaire et je teste les effets de différents médicaments.
Je suis arrivée en France en raison d’une série de circonstances : je n’arrivais pas à trouver du travail en Italie, ensuite j’ai été sélectionnée par un laboratoire italien qui cherchait un étudiant prêt à déménager pour commencer une collaboration avec un laboratoire français ici à Paris. Avant de venir à Paris, j’ai obtenu mon Master 2, en travaillant à l’Hôpital San Raffaele de Milan. Dans ce laboratoire, mon équipe travaillait au développement de vaccins contre le virus HIV, responsable du SIDA. Je vais retourner en Italie de temps en temps pour voir ma famille et mes amis. Malheureusement, je ne pense pas pouvoir retourner à vivre dans mon pays, car le travail et la qualité de vie ne sont pas aussi bons qu’ici en France.
2. Stefania Peracchi, ingénieur nucléaire, Institut de Radioprotection et Sûrété Nucléaire (IRSN)

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Mon travail de recherche concerne la protection des personnes ayant eu un contact avec le rayonnement : pilotes et astronautes exposés aux rayonnements cosmiques en provenance du Soleil, patients qui subissent une radiothérapie pour traiter le cancer, employés dans le secteur nucléaire ou personnes présentes lors d’un accident nucléaire. Pour contrôler de telles situations à risque, on a besoin de détecteurs de rayonnement toujours plus performants. Mon équipe teste et analyse ces instruments pour comprendre dans quelle mesure ils sont fiables.

Comment suis-je arrivée en France ? En Octobre 2015 j’ai commencé un stage de six mois chez IRSN à Paris, pour écrire mon mémoire de Master 2 dans le domaine du Génie Nucléaire. Heureusement, à la fin contrat, j’ai été embauchée. Avant de partir pour la France, j’étais une étudiante de l’École polytechnique de Milan. À la fin du stage, je suis juste rentrée en Italie pour ma soutenance et saluer ma famille et mes amis. Je savais que j’étais de passage… Maintenant ma vie est à Paris : ici les mes employeurs croient en moi et en mes capacités, développées pendant mes années d’études. Ils investissent en moi et ils me permettent d’acquérir de l’expérience, alors qu’en Italie, pour embaucher un jeune, on demande qu’il ait déjà cette expérience, a priori !

3. Giulia Faedda, ingénieur de recherche, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière

GiuliaFaedda

Je travaille dans le domaine du traitement des images cardiovasculaires :  je développe un logiciel qui aide les radiologues et les chirurgiens à mesurer le flux sanguin entrant et sortant du cœur. Je suis originaire de la région de la Sardaigne, mais pour mes études j’ai déménagé à Gênes, en Ligurie. Là, pendant mon master 2 en Bio-ingénierie, j’ai eu la chance de bénéficier d’une bourse Erasmus Trainship. Quelle était la destination ? Paris ! Je suis complètement tombée amoureuse de cette ville et j’ai décidé d’y rester. J’aimerais bien retourner en Italie, et pourquoi pas dans ma chère Sardaigne. Peut-être quand j’aurai acquis une richesse d’expérience me permettant d’obtenir un bon poste, je pourrai y retourner.

4. Rosaria Esposito, biologiste, Institut Pasteur

foto rosaria

Je conduis des études sur le poisson zèbre, un petit poisson d’eau douce d’origine tropicale. Ce poisson est souvent utilisé en laboratoire comme modèle, parce qu’il peut régénérer plusieurs parties de son corps, dont le cerveau, grâce à ses cellules souches. Celles-ci sont, en fait, bien plus nombreuse chez les poissons que chez les mammifères. Le but de mon projet de recherche est de mieux comprendre la biologie de ces cellules, par exemple : comment peuvent-elles rester longtemps dans un état de quiescence pour ensuite «se réveiller», se reproduire et former des nouveaux neurones ? 

Je suis venue en France pour un contrat de chercheur post-doctoral, après avoir soutenu ma thèse de doctorat à Naples, ma ville d’origine. J’ai décidé de partir a l’étranger quand j’ai compris qu’en Italie j’aurais toujours été considérée comme de la main d’œuvre à bas coût, emprisonnée dans une situation de précarité pérenne. J’étais attirée par la France, et vivre à Paris était un rêve pour moi… Donc me voilà ! Est-ce que j’ai envie de retourner en Italie? Franchement, je garde l’espoir dans mon cœur, mais aujourd’hui ce n’est pas ma priorité. L’Italie me manque touts les jours, mais elle me blesse aussi. C’est un peu triste pour moi de penser que si un jour j’avais des enfants, ils ne seraient pas vraiment italiens, mais ça serait bien plus triste de les condamner au sentiment d’impuissance que j’ai éprouvé moi-même dans mon pays.  

5. Marina Corradini, doctorante, Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP)

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Dans mon sujet de recherche, je travaille sur les tremblements de terre et les aspects qui contrôlent leur complexité. Dans ma journée type, je fais des simulations numériques des différents événements sismiques; de cette façon, je peux observer en détail ce qui ce passe lors d’un séisme. Une fois terminé mon Master en Italie, dans ma ville natale, j’ai postulé pour une bourse de doctorat à l’IPGP. Et j’ai été sélectionnée ! Je ne retournerais pas en Italie, parce que j’aimerais vivre dans beaucoup des lieux différents au cours de ma vie !

6. Maddalena Mattiello, ingénieur chimiste, Laboratoire Matière Molle et Chimie de l’ESPCI
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Je conduis des études sur la matière molle. Les matériaux que j’utilise en sont un exemple : constitués jusqu’à 99% d’eau (donc, aussi éco-compatibles), ils peuvent être à la fois solides et liquides. Ils ont plusieurs applications : ils sont utilisés dans l’optique ou pour le transport des médicaments à l’intérieur du corps humain.
Après mon diplôme d’ingénieur obtenu à Naples, je suis venue en France pour mon doctorat, grâce à un financement de l’UE créé pour soutenir la la mobilité des jeunes chercheurs. Je ne sais pas si je rentrerai en Italie un jour, car je ne sais pas quel futur m’attend là-bas. Je me sens citoyenne europeénne et je ne serais pas mécontente de rester en France ni de déménager dans un autre pays d’Europe.
7. Beatrice Biancardi, doctorante, Institut des Systèmes Intelligents et de Robotique, UPMC

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Ma thèse se déroule dans le cadre de l’informatique affective. Je travaille sur l’interaction homme–machine, en particulier avec les agents conversationnels animés. Il s’agit d’une espèce de robots virtuels, ils rassemblent à des avatars des jeux vidéo, mais ils sont autonomes. Une fois programmés, il peuvent interagir avec l’utilisateur, répondre aux questions et exprimer des émotions à travers les gestes et les expressions faciales. L’objectif général de mes recherches est d’améliorer la crédibilité des agents virtuels, pour qu’ils puissent établir une interaction positive et durable avec l’utilisateur. Parmi mes activités quotidiennes, on trouve l’analyse de beaucoup de données et la visualisation des nombreux vidéos d’interactions naturelles entre personnes. Le but est d’en extraire des règles et des modèles applicables aux agents virtuels.
En Italie, dans la ville de Trente, j’ai obtenu un Master 2 en sciences cognitives. Je suis arrivée à Paris pour mon stage de master, grâce à une bourse Erasmus. Ensuite j’ai prolongé mon stage et mon encadrante parisienne m’a proposé de rester pour le doctorat. J’aurais pu postuler aussi en Italie, mais mes professeurs m’ont conseillé de faire mon doctorat à l’étranger. En Italie il y aurait eu moins de possibilités de continuer ma carrière académique. Pour l’instant, je considère mon séjour à Paris comme une expérience universitaire (ainsi que culturelle) très stimulante, parfois difficile mais positive dans l’ensemble. Je pense que la France et les autres pays européens offrent beaucoup plus de possibilités de travail pour un chercheur que l’Italie. Malgré ça, j’aimerais bien rentrer dans mon pays dans un futur pas trop loin.

8. Mariangela Cavarelli, biologiste, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)

Cavarelli M

Je travaille sur les mécanismes cellulaires et immunitaires de la transmission sexuelle du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et sur la manière dont sa transmission peut être inhibée par des anticorps anti-VIH. Dans mon laboratoire, je fais des recherches sur la manière dont le virus infecte un type particulier de cellules, appelées cellules dendritiques. Celles-ci, dans des conditions normales, nous protègent contre les infections. Dans le cas du VIH, au contraire, elles sont « manipulées » par le virus, dans le but de se propager dans le corps. Je fais aussi des tests pour évaluer la façon dont certains anticorps peuvent interférer avec le processus de transmission et d’infection. Je suis venue en France parce que j’ai obtenu un financement de la Communauté Européenne favorisant la mobilité des chercheurs (Actions Marie Sklodowska Curie) et une subvention de l’ANRS, l’Agence nationale de recherche sur le SIDA et les hépatites virales. Auparavant, j’ai travaillé pendant 10 ans à l’Hôpital San Raffaele de Milan en Italie. Je pourrais retourner dans mon pays s’il y avait des ressources économiques pour poursuivre mes recherches.

9. Francesca Filippini, généticienne, Institut Imagine (Institut des maladies génétiques) 

Les origines génétiques des malformations du développement chez l’enfant constituent la partie centrale de mon travail. Ces malformations apparaissent, pour la plupart, dès les premières semaines de développement fœtal. Dans notre laboratoire nous analysons l’ADN des fœtus et des enfants frappés par ces anomalies. Nous tentons ensuite de reproduire les pathologies chez le modèle animal de manière à en comprendre les mécanismes moléculaires.
Après mon Master 2 en Italie, j’ai compris que ma passion était la recherche scientifique et qu’en Italie il n’y avait pas beaucoup de possibilités. J’ai alors contacté des chercheurs italiens de l’Institut Imagine à Paris. Après deux entretiens via Skype j’ai été sélectionnée pour travailler dans leur équipe, j’ai fait mes valises et je suis arrivée à Paris. Le niveau scientifique est très bon et ma rémunération très correcte. En Italie j’ai travaillé dans deux laboratoires et dans une Fondation pour la vulgarisation scientifique pour les jeunes, une expérience fantastique. L’Italie est le pays dans lequel j’aimerais vivre. Malheureusement les fonds pour la recherche sont très limités, donc  je reste en France pour l’instant.

10. ​Caterina Marino, neurobiologiste, Laboratoire Psychologie de la Perception (Université Paris Descartes)

CaterinaMarinoPour ma thèse de doctorat, je m’occupe des mécanismes cérébraux et acoustiques nécessaires à l’apprentissage du langage pendant les premières années de vie de l’enfant, dans le cas du développement normal et dans le développement atypique (dyslexie etc.). Dans mon laboratoire je fais des tests avec des enfants de 9 mois, pendant lesquels je mesure les réponses comportementales et cérébrales : exposition à des sons (mots, notes musicales, etc.) et à des stimulations visuelles (vidéos, images, etc.).

Je suis venue en France par hasard : j’avais postulé dans plusieurs universités et ensuite j’ai choisi ma destination en fonction du thème traité et de l’importance du laboratoire. En Italie, après mon master, j’ai travaillé 6 mois dans le laboratoire Langage, Cognition et Développement de Trieste. Je ne sais pas si j’aurai la possibilité de rentrer en Italie. Pour l’instant je n’ai pas un programme bien défini pour le futur, mais il faut dire que, malgré tout l’amour que j’ai pour mon pays, il devrait vraiment faire quelque chose de plus pour les chercheurs…

Ce billet de mon blog veut également être un remerciement pour la France, qui nous accueille et nous donne la possibilité d’exprimer nos talents.

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